Bélem Gender Action Plan, interview exclusive avec Ksenia Fadeeva, asphyxie programmée du secteur associatif, en finir avec la violence...
On a parfois l’impression que les alertes du monde associatif résonnent dans le vide. Comme si elles faisaient partie du paysage : elles inquiètent, elles indignent, puis elles disparaissent sous le flux de l’actualité. Sauf que cette fois, ce n’est pas un “coup dur de plus”. C’est un effondrement et t il a déjà commencé.
Le projet de loi de finances 2026 acte une baisse historique des moyens dédiés aux associations. Il ne s’agit pas d’un simple ajustement mais plutôt d’un retrait massif de l’État, dans un moment où les besoins explosent. Le budget “Jeunesse et Vie associative” chute ainsi de 26 %, passant de 848 à 626 millions d’euros, comme le souligne le Mouvement associatif dans sa note d’analyse du PLF 2026. Le Service civique perd 115 millions d’euros, les “colos apprenantes” disparaissent, les financements du mentorat reculent et les dispositifs de la politique de la ville sont sabrés. L’économie sociale et solidaire, elle, voit son budget fondre de 38 %.
Tout cela intervient dans un secteur déjà exsangue. Le Mouvement associatif rappelle que 70 % des associations employeuses ont des fonds propres fragiles ou inexistants, que près de 30 % n’ont pas trois mois de trésorerie, et que près d’une association sur deux avait déjà subi une baisse de financements publics en 2025. Les chiffres donnent le vertige : 40 % des structures ont réduit leur masse salariale, 9 % ont licencié, et les plans de sauvegarde comme les liquidations ont doublé en trois ans. On ne parle pas ici uniquement de micro-structures isolées : ce sont des centres sociaux, des associations d’urgence, des lieux d’accueil, des collectifs féministes ou écologistes qui raccourcissent leurs horaires, compressent leurs équipes ou ferment.
Les associations féministes, elles, sont parmi les premières à encaisser le choc. Déjà fragilisées par la baisse des financements dans la loi de finances 2025, elles dépendent plus que d’autres des subventions publiques : quand l’État coupe, elles vacillent aussitôt. Et les chiffres sont sans appel. Selon une enquête récente de la Fondation des Femmes, plus de 70 % des associations féministes se déclarent aujourd’hui en situation financière “dégradée ou très dégradée”, avec une perte nette de 6,7 millions d’euros en 2025 et une baisse moyenne de 15 % de leurs subventions par rapport à l’année précédente. Conséquence directe : près de la moitié d’entre elles ont déjà réduit leurs activités, fermé des permanences, ou envisagent des licenciements. Un paradoxe brutal alors même que les demandes d’hébergement d’urgence, d’accompagnement juridique ou psychosocial n’ont jamais été aussi nombreuses. Fragiliser les associations féministes en 2026, c’est très concrètement réduire la capacité collective à protéger des personnes en danger.
Ce qui se joue en France s’inscrit d’ailleurs dans une tendance mondiale. En effet, la réduction des financements publics pour la solidarité se vérifie à l’échelle globale. L’aide publique au développement française est en repli, notamment via une baisse des contributions à l’Agence française de développement, au moment même où les crises humanitaires se multiplient. Aux États-Unis, une partie des activités de USAID ont été suspendues ou fermées, privant des millions de personnes d’accès à des services essentiels. On coupe des budgets qui, en réalité, maintiennent des systèmes de santé, de scolarisation ou de droits fondamentaux à flot.
La situation n’est pas meilleure au niveau européen, où les ONG deviennent des cibles politiques. Le PPE, allié à l’extrême droite, a récemment lancé un groupe de travail sur le financement des ONG, présenté comme une démarche de contrôle mais largement perçu comme un outil d’intimidation vis-à-vis de la société civile (Euractiv). Le message est limpide : les associations qui défendent les droits fondamentaux, le climat ou l’égalité sont de plus en plus vues comme des contre-pouvoirs gênants et il faut les surveiller.
Le plus ironique dans cette histoire, ou le plus tragique, c’est que ce sont ces mêmes associations qui pallient les manquements de l’État. Elles compensent les défaillances de services publics en crise, assument des missions que l’administration ne remplit plus, maintiennent des formes de solidarité essentielles : accueil des personnes sans-abri, aide alimentaire, accès aux droits, accompagnement des victimes de violences, soutien scolaire, culture, sport… Elles sont le dernier filet de sécurité dans un pays où les inégalités et la précarité explosent. Et pourtant, on continue de les traiter comme une variable d’ajustement budgétaire.
Cette politique traduit un choix. Celui d’un État qui demande toujours plus aux associations, mais leur donne toujours moins. Celui d’un pouvoir qui se réjouit du “retour de l’engagement citoyen” tout en supprimant les moyens qui le rendent possible. Celui d’un gouvernement qui s’alarme du repli sur soi, de la montée des colères, de la défiance démocratique… mais qui affaiblit précisément celles et ceux qui créent du lien, de la solidarité, de la confiance.
Nous sommes à un moment de bascule. Ce qui est en train de disparaître n’est pas seulement une ligne budgétaire : ce sont des lieux où l’on apprend la démocratie, où l’on protège les plus vulnérables, où l’on transforme du désespoir en action collective. Ce sont des structures qui empêchent la société de se fracturer davantage, ou de s’effondrer pour de bon.
Ce qui se joue aujourd’hui c’est notre capacité collective à tenir debout. Si les associations tombent, ce ne sont pas seulement des emplois ou des projets qui disparaissent, ce sont des protections concrètes, des lieux d’espoir, des espaces où l’on apprend à vivre ensemble. Continuer à couper, c’est accepter que l’État se retire encore un peu plus et que la société se débrouille seule.
Nous n’avons pas besoin d’un pays où les associations s’épuisent pendant que le pouvoir s’en lave les mains. Nous avons besoin d’un État qui reconnaît enfin ce que le monde associatif apporte à la démocratie, à l’égalité, à la justice sociale - et qui lui donne les moyens de continuer à le faire. Parce qu’affaiblir les associations, c’est affaiblir tout le monde. Et que chaque euro retiré aujourd’hui coûtera dix fois plus demain.
Ce mardi 25 novembre se tenait la journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes, avec pour l’année 2025, un focus particulier sur les violences conjugales. Jamais le décalage entre la puissance de nos mobilisations et la réalité des faits n’a été aussi déprimante. Nous avons beau informer, manifester, discuter, financer, les chiffres restent alarmants. Entre 2023 et 2024, les féminicides conjugaux ont augmenté de 11%, plus de 900 femmes se sont suicidées suite au harcèlement de leur conjoint ou ex-conjoint, soit une hausse de 17%. Une femme est victime de viol toutes les deux minutes et de harcèlement sexuel toutes les 23 secondes. Quel enfer.
En janvier 2024, la députée PS, Céline Thiébault Martinez a lancé une grande consultation en vue d’une proposition de loi cadre « intégrale » contre les violences faites aux femmes. Pendant 11 mois, 109 députés de 8 groupes différents (à l’exception du RN) se sont consultés pour lutter plus efficacement dans toutes les sphères de la société (justice, police, santé, travail, éducation, numérique). La loi a été déposée ce lundi 24 novembre devant l’assemblée nationale.
Il est évident que la solution réside dans un appareil législatif efficace et coercitif mais malgré tout l’ampleur des chiffres, régulièrement en hausse, la sidération provoquée par l’affaire Pélicot ou encore le procès French Bukkake, sans même parler de l’abbé Pierre nous oblige à nous poser cette question : sera-t-il possible, un jour de nous protéger définitivement des violences sexistes et sexuelles ?
Depuis toujours le mouvement féministe a tenté de répondre à ces questions. Il y a les féministes que l’on pourrait qualifier d’anti-sexe, pour lesquelles, la seule manière de lutter efficacement contre la violence des hommes est de cesser toute relation avec eux. Une idée qui perdure, qui fait encore des émules parmi les jeunes génération et que l’on retrouve notamment en Corée avec le mouvement des 4B qui consiste à ne pas se marier avec les hommes, ne pas avoir de relation avec eux, ne pas avoir de relations sexuelles avec eux et enfin, ne pas porter leur enfant. Il existe, en miroir, un féministe pro-sexe, qui considère qu’un rapport à la sexualité égal entre les hommes et les femmes permettrait de mettre un terme aux violences et serait source d’émancipation pour les femmes, notamment les plus minorisées et invisibilisées. Ce petit résumé est succinct et demanderait, bien sûr, à être détaillé, ne serait-ce que dans son historicité mais il montre bien, malgré tout, les écueils auxquels les femmes sont confrontées.
Ces derniers temps, en effet, les articles donnant la parole aux femmes qui renoncent à relationner avec les hommes se multiplient. Ce phénomène sécessionniste est sans doute bien plus qu’un effet de mode, en tout cas il est sincère. Mais il porte en lui plusieurs questions et angles morts comme on dit : refuser toutes relations sexuelles ou romantiques avec les hommes n’empêchera jamais que nous soyons obligées de les côtoyer au travail, dans la rue, dans nos foyers, dans nos loisirs. Par ailleurs, toutes les femmes ne peuvent pas se permettre de sortir sans heurts et sans dommages de la norme conjugale et familialiste. Il faut de nombreux privilèges financiers et sociaux pour soutenir une solitude résidentielle choisie, toutes les femmes ne peuvent y prétendre. Sans même parler de celles, et elles ont bien le droit, qui n'entendent pas du tout cesser de fréquenter des hommes de quelques natures que soit ce lien.
Quant à revendiquer une liberté de jouir comme les hommes, sans entraves et telle qu’on est, c’est aussi une manière de voir les choses, mais à condition de savoir que cela repose sur une négation des rapports de domination qui régissent notre société.
Alors si cela n’était pas possible ? Si rien ne pouvait nous protéger de tous les Dominique Pelicot et Jonathann Daval de ce monde, que faire de cette indécrottable vulnérabilité ? Et comment continuer de vivre tous ensemble ?
Ces interrogations, il nous semble, valent la peine qu’on se les pose. Non pas comme une fatalité, il faut bien sûr définitivement vaincre la violence patriarcale, mais comme une nécessité. La sexualité, nos désirs, avec ou sans la violence des hommes, restent un lieu de joie autant que de ténèbres. Peut-être serait-il intéressant de réfléchir à notre rapport à la sexualité, à la conjugalité, à la place que cela occupe dans notre existence, les risques que cela nous fait prendre.
Et ce faisant, nous pousse à continuer de nous poser cette question : « que faut-il vraiment pour renverser le patriarcat ? »
À Bélem ce 22 novembre 2025, la COP30 s’est clôturée avec un accord décevant, sans plan de sortie des énergies fossiles. Pour autant, des petites avancées ont eu lieu, notamment concernant les pays les plus vénérables et les femmes.
Partout dans le monde, les femmes sont en première ligne du changement climatique : elles représentent la majorité des déplacé·es climatiques, subissent plus durement les catastrophes naturelles et les inégalités qu’elles aggravent, notamment dans les tâches du quotidien (eau, agriculture, protection). Elles subissent également plus de violence et de VSS lors de crises. Par exemple, après l’ouragan Katrina aux États-Unis, les violences envers les femmes hébergées dans des abris ont triplé. En France, lors de la tempête Xynthia, les femmes de plus de 60 ans représentaient, à elles seules, 44 % des victimes. La canicule de 2003 a entraîné une surmortalité de plus de 70 % chez les femmes, contre 40 % chez les hommes.
Malgré ces faits alarmants, une nouvelle est passée inaperçue dans les médias dominants, obsédés par le pétrole et le capitalisme vert. Une petite révolution a eu lieu du côté des femmes. Ana Carolina Querino, Représentante d'ONU Femmes au Brésil, a souligné un message qui a résonné tout au long de la COP30 : « Il n'y a pas de justice climatique sans égalité des sexes ». Ce message a été partiellement entendu. En effet, la Conférence des Parties (COP30) a franchi une étape décisive pour l'intégration du genre dans les politiques climatiques mondiales avec l'adoption du Plan d'action sur le genre de Belém (GAP). Ce nouveau plan place explicitement l'égalité femmes-hommes au cœur de l'action climatique et donne une feuille de route pour les 10 prochaines années. Mais son succès dépendra de la mise en œuvre opérationnelle et de la nécessité de moyens financiers définis. Ainsi, ONU Femmes relève que le texte adopté intègre plusieurs dimensions essentielles notamment la santé, fortement impactée par les crises climatiques, la violence à l'égard des femmes et des filles, qui augmente lors des catastrophes et déplacements, la protection des femmes défenseures de l'environnement, la reconnaissance du travail de soins et du besoin de ressources pour une transition socialement juste ainsi que la création d'emplois décents dans les secteurs liés au climat.
Comme pour toute avancée féministe, les forces réactionnaires masculines entrent en jeu. Si l'adoption du Plan constitue une avancée importante, plusieurs Etats, dont l’Argentine, la Russie, l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Égypte ou le Vatican ont tenu à bloquer le texte en niant toute reconnaissance des personnes trans et non-binaires et en ajoutant leurs propres définitions du sexe biologique. Car c’est bien du genre dont le plan d’action parle et non de sexe, là aussi un progrès.
La plupart des pays reconnaissent la vulnérabilité disproportionnée des femmes face aux changements climatiques, mais rares sont ceux qui reconnaissent leur contribution aux solutions climatiques ou qui adoptent une approche globale pour lutter contre les inégalités de genre. Les femmes et les filles, pourtant leaders dans la lutte contre le changement climatique, ne se retrouvent pas autour de la table des décideurs. Parmi les problèmes persistants, on peut citer la représentation incohérente des femmes dans les processus de la CCNUCC et les délégations à la COP.
Le Gender Climate Tracker montre que depuis 2008, aucune COP n'a atteint une représentation et une participation égales des genres dans les délégations. À la COP29, seulement 35 % des délégués étaient des femmes, montrant qu’il existe des obstacles systémiques à l’égalité dans les négociations sur le climat.
Ksenia Fadeeva est une opposante politique russe, ancienne membre collaboratrice d'Alexeï Navalny. Elle a été condamnée à 9 ans de prison par le régime russe et a été relâchée dans le cadre d'un accord d'échange négocié le 1er août 2024 entre la Russie et le Bélarus d'une part, et l'Allemagne, la Norvège, la Pologne, la Slovénie et les États-Unis.
Elle croit qu'il est dans l'intérêt de la Russie d'être un pays pacifique et démocratique, un pays avec lequel les autres pays souhaitent coopérer, un pays où les gens aspirent à recevoir une éducation et des soins de santé de qualité. Elle travaille aujourd’hui sur la question des prisonniers politiques russes, œuvre pour leur libération et pour que les demandes de libération soient incluses dans toute négociation de paix en Ukraine Pour elle, les otages civils doivent être rendus à l’Ukraine et les prisonniers politiques russes, incarcérés simplement pour avoir dénoncé Vladimir Poutine et la guerre, ne doivent pas rester en prison. Popol l’a interviewée.
Réponses recueillies par Clothilde Le Coz
Selon vous, comment la guerre a-t-elle transformé le système politique russe ?
La Russie a instauré un régime autoritaire répressif qui, ces trois dernières années et demie, est devenu de plus en plus totalitaire : l'opposition intérieure a été quasiment anéantie, de même que la liberté de la presse ; la moindre manifestation est réprimée avec une extrême brutalité ; le principal opposant de Poutine, Alexeï Navalny, a été tué en détention ; et l'accès à Internet est restreint. Désormais, l'État s'immisce également dans la vie privée des citoyen·nes : les droits des personnes LGBTQIA+ sont criminalisés ; l'avortement n'est pas encore interdit, mais tout évolue dans ce sens. Et, bien sûr, la destruction massive des médias indépendants et de l'opposition en Russie en 2021 préparait l'invasion de l'Ukraine en 2022 ; cela est désormais une évidence.
En octobre, les dirigeants de l'UE ont salué la décision de Washington d'imposer de nouvelles sanctions à deux grandes compagnies pétrolières russes, affirmant que cela accroîtrait la pression sur Moscou pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Qu'en pensez-vous ?
Je ne suis pas une experte en sanctions. Mais, bien sûr, je crois qu’elles sont d’abord nécessaires contre les dirigeants russes et leur entourage, et ensuite contre les pays qui continuent d'acheter de l'énergie à la Russie. Les sanctions visant les citoyen·nes russes ordinaires ont l'effet inverse ; elles ne font que confirmer le discours de propagande russe selon lequel « l'Occident combat tous les Russes ». Je fais notamment référence à la récente décision d'interdire les visas à entrées multiples pour l'UE aux citoyen·nes russes. Les espion·nes ont déjà des passeports ou des permis de séjour de pays européens ; ils n'utilisent pas de visas à entrées multiples… La présidente du Conseil de la Fédération de Russie, Valentina Matvienko, dont la signature figure sur la résolution autorisant l'envoi de troupes en Ukraine, s'est rendue en Suisse cette année avec les députés Tolstoï et Slutsky. L'Italie leur a accordé l'autorisation de survoler son territoire. Cela fait quatre ans que la guerre a commencé.
Cette décision d'interdire les visas à entrées multiples est un coup dur pour les militant·es et les journalistes resté·es en Russie. Un visa peut être vital lorsqu'on sait qu'on risque d'être arrêté d'un jour à l'autre, et un visa à entrées multiples est un moyen de se protéger.
Comment évaluez-vous le soutien réel dont bénéficie l'opposition au sein de la population ?
Malheureusement, je ne dispose pas des outils nécessaires pour évaluer le soutien à l'opposition en Russie. La Russie est un régime autoritaire, et les gens craignent de répondre honnêtement aux questions des sociologues. On plaisante même : « Bonjour. Veuillez répondre à cette question : soutenez-vous Vladimir Poutine et la mise en œuvre de « l’opération spéciale », ou préférez-vous aller en prison pendant 10 ans ? ».
Je peux dire que lorsque je me suis présentée aux élections de la Douma de Tomsk il y a cinq ans et demi, la demande de changement était forte au sein de la population. Je n'ai jamais caché mon soutien à la campagne de Navalny ; c'était écrit sur mon affiche de campagne, et les gens ont voté pour moi. Ces personnes sont toujours là ; certes, environ un million de personnes ont quitté la Russie après le début de la guerre, mais 140 millions y sont restées. Même selon les sondages réalisés par des sociologues proches du gouvernement, la société est lasse de la guerre. Bien sûr, la lassitude de la guerre n'équivaut pas à un soutien à l'opposition, mais je pense qu'il est très symptomatique et crucial de comprendre que la guerre d'agression contre l'Ukraine n'est pas devenue une « guerre populaire » en Russie. Il n'y a pas de files d'attente devant les bureaux de recrutement militaire, et les autorités doivent offrir des sommes considérables pour inciter les hommes à s'engager.
Si l’on parle de la société civile russe en général, la principale idée fausse est peut-être que tous les Russes soutiennent la guerre et que tous ceux qui voulaient partir sont déjà partis. Ce n’est pas vrai.
Vous avez récemment déclaré que la société civile russe est vivante, mais « paralysée pour survivre ». Qu’entendez-vous par là ?
Toute activité liée à l'opposition en Russie est désormais criminalisée. Mais il reste encore des millions de personnes bienveillantes en Russie, qui s'efforcent de tisser des liens et de préserver leur identité. Elles participent à des initiatives environnementales (dont la plus notable et la plus répandue est le nettoyage des plages d'Anapa après la marée noire), sauvent des animaux errants, participent aux recherches de personnes disparues et certaines siègent encore aux élections municipales comme candidates ou observateurs.
À lire
Théories féministes
Dans Théories féministes, Camille Froidevaux-Metterie réunit une centaine de chercheur·euses pour cartographier tout ce qui nourrit, depuis des siècles, le projet féministe : idées, concepts, figures, controverses. C’est un tour d’horizon vivant, accessible, jamais écrasant, un guide pour comprendre d’où vient le féminisme, comment il s’est construit, et pourquoi il est plus que jamais nécessaire face au backlash actuel. On y croise des pionnières médiévales, des militantes du XIXe, les mouvements des années 1970 et les apports intersectionnels plus récents. Un livre à garder sous la main pour ne jamais perdre de vue le fil politique de nos luttes.
Les méritantes, Lucile Quillet, Les liens qui libèrent
Dans Les méritantes, Lucile Quillet démonte l’un des plus grands mythes modernes : celui d’un travail libérateur pour les femmes. Elle raconte comment le monde professionnel reste structuré par et pour les hommes, exigeant des femmes qu’elles s’adaptent, qu’elles s’excusent presque d’exister, qu’elles fassent deux fois plus pour obtenir deux fois moins. Avec son sens redoutable de l’analyse sociale, l’autrice décortique les injonctions à être parfaite, souriante, performante et… reconnaissante. Un livre qui met le doigt là où ça fait mal, mais surtout là où ça doit changer.
À écouter
Minuit dans le siècle, Ugo Palheta, Spectre
Un podcast essentiel pour comprendre le moment politique que nous traversons. Dans Minuit dans le siècle, le sociologue Ugo Palheta explore, avec des invité·es fin connaisseurs du sujet, la montée contemporaine du fascisme : ses ressorts, ses formes nouvelles, ses alliances inédites, ses angles morts. C’est dense, rigoureux, jamais désincarné, et surtout profondément nécessaire pour penser ce qui se joue lorsque les démocraties vacillent. Un espace rare où l’analyse prend le temps pour mieux armer notre lucidité collective.
À voir
La voix de Hind Rajab
Kaouther Ben Hania signe un film coup-de-poing qui raconte l’histoire bouleversante d’Hind Rajab, six ans, piégée dans une voiture sous les tirs de l’armée israëlienne à Gaza. Le film, tourné dans la plus grande discrétion, revient sur les derniers échanges téléphoniques de la fillette avec le Croissant-Rouge, et sur l’ambulance envoyée pour la sauver… dont les passagers sont abattus avant d’arriver jusqu’à elle. Un film nécessaire, qui oblige à regarder en face ce que beaucoup préfèrent encore ignorer.
À faire
Popol en Live avec David Dufresne, 8 décembre 2025, Point Ephémère
Popol Talk en live avec David Dufresne au Point Éphémère (Paris 10e), le 8 décembre à 19h. Léa Chamboncel échangera avec lui sur son parcours engagé, son travail journalistique et son dernier livre Remember Fessenheim. La rencontre sera suivie d’un échange avec le public et d’une séance de dédicaces en partenariat avec la librairie Un livre, une tasse de thé !
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Un rendez-vous à ne pas manquer si vous vous demandez encore comment construire une démocratie qui ne laisse personne sur le bord de la route. Le 2 décembre, DémocraTalks réunit un panel engagé : Nasteho Aden, Marie-Cécile Naves, Daisy Letourneur et Marjorie Fauché, pour penser la place des femmes et des minorités de genre dans nos institutions, et surtout comment lutter concrètement contre les violences, discriminations et mécanismes d’exclusion qui minent encore l’espace public.
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C’est ce que propose la députée de Paris Céline Hervieu (PS), avec une proposition de loi comportant un objectif clair : lutter contre l’abstention en redonnant aux jeunes une place dans la vie politique locale. Comme elle l’explique à Libération : « c’est un levier de lutte contre l’abstention. Cela améliore la participation des jeunes à la vie politique et c’est demandé par une majorité de jeunes de 16 à 18 ans ». Et difficile de la contredire quand on regarde les données : dans leur immense majorité, les jeunes sont déjà engagé·es, mais autrement.
L’élue rappelle ainsi que près d’un tiers des 15-17 ans ont signé une pétition ou défendu une cause en ligne en 2024, et un quart a participé à une manifestation ou une grève dans l’année (« loin des clichés », écrit Hervieu dans l’exposé des motifs de sa PPL). Bref, ils s’informent, débattent, s’organisent (souvent mieux que leurs aîné·es), mais restent exclu·es des urnes. Alors même qu’« ils utilisent un plus large éventail de sources d’information politique avant de voter que les autres groupes d’âge », souligne encore la députée citée par Libération.
À l’heure où les municipales approchent, la question n’a rien d’anecdotique. Il s’agit de savoir qui a le droit de décider du quotidien : transports, logement, écoles, espaces publics, environnement… Autant de sujets qui concernent pleinement les jeunes, mais sur lesquels ils n’ont aujourd’hui aucun pouvoir institutionnel. Et dans un pays où l’abstention grimpe à chaque scrutin, refuser de les inclure ressemble de plus en plus à un non-sens démocratique.
Reste à savoir si sa proposition peut rassembler une majorité. Paradoxalement, le sujet dépasse les frontières partisanes : en 2021, une centaine d’élu·es avaient déjà signé une tribune dans le JDD appelant à ouvrir le droit de vote dès 16 ans, et beaucoup venaient du Modem.
Accorder le droit de vote à 16 ans ne résoudra pas la crise institutionnelle. Mais cela enverrait au moins un signal clair : faire confiance aux jeunes, les reconnaître comme acteurices politiques à part entière, leur permettre d’influer réellement sur leur environnement.