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Manger, un enjeu féministe

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8 min ⋅ 27/06/2025

Sécurité sociale alimentaire

Les inégalités nous accompagnent tout au long de notre vie, du berceau au cercueil en passant par l’école, le travail ou encore l’assiette. Car oui, le capitalisme fait des ravages jusque dans nos assiettes (plus ou moins vides pour certain·es). En 2023, une étude du CREDOC relevait que 16 millions de personnes se trouvaient en situation de précarité alimentaire en France, un chiffre qui a explosé cette dernière décennie. Cela signifie qu’une personne sur six ne mange pas à sa faim dans notre pays. Mais cette étude nous apprend également que la précarité alimentaire touche avant tout les femmes que ce soit d’un point de quantitatif comme qualitatif. 

L’inflation, les guerres aux quatre coins du monde, le dérèglement climatique, etc. autant de choses qui nous laissent entrevoir que la situation ne va certainement pas s’améliorer que de plus en plus de personnes vont faire face à la précarité alimentaire. Les causes sont nombreuses et les associations qui luttent contre la précarité alimentaire tirent la sonnette d’alarme depuis de nombreuses années : recul des subventions, hausse massive des besoins, etc. 

Pourtant, des solutions existent et sont explorées par celleux qui pensent qu’un autre monde est possible, un monde où la précarité alimentaire ne ferait pas autant de ravages, un monde où une forme de “sécurité sociale” alimentaire existerait. La sécurité sociale de l’alimentation (SSA) propose une alternative crédible, radicale et parfaitement réalisable. Inspirée du modèle de la Sécurité sociale créée en 1946, l’idée est simple : faire de l’alimentation un droit universel, financé collectivement, garanti à tout·es. 

Concrètement, chaque personne disposerait d’une carte “Vitale alimentaire” créditée chaque mois d’un montant donné, utilisables uniquement pour des produits alimentaires conventionnés selon des critères sociaux et écologiques. Un système financé, à l’image de la Sécurité sociale santé, par une cotisation obligatoire sur les salaires (environ 12,6 %, selon les premières estimations), soit environ 120 milliards d’euros par an. Un coût qui peut paraître impressionnant mais qui reste inférieur à la branche maladie de la Sécu et surtout bien plus efficace que les dispositifs actuels d’aide alimentaire, qui reposent davantage sur un modèle caritatif que sur des politiques publiques à proprement parler. 

La faisabilité est donc là, elle est néanmoins tributaire d’un choix politique. D’autant que plus de 30 territoires en France expérimentent déjà des formes locales de sécurité sociale alimentaire, de la caisse de Dieulefit dans la Drôme à la boutique solidaire de Montpellier en passant par les supermarchés coopératifs. 

Et il ne s’agit pas seulement d’un projet de justice sociale : c’est aussi un projet féministe. Car on le sait : l’alimentation, le soin du foyer, la gestion du frigo, etc. tout cela repose essentiellement sur les femmes. Elles sont les premières touchées par la précarité alimentaire, mais aussi celles à qui l’on confie la responsabilité quotidienne de “faire manger” les autres, souvent au détriment de leur propre santé, de leur temps et de leur revenu. En rendant l’alimentation universellement accessible, en socialisant ce qui relève encore du privé et du domestique, la sécurité sociale de l’alimentation contribue à desserrer cet étau invisible du care imposé aux femmes. 

Ce projet bouscule donc doublement l’ordre établi, il affirme que manger à sa faim n’est pas une affaire privée mais un droit collectif, et il dégenre le travail alimentaire. Il est une réponse directe à ce capitalisme qui fait peser sur les individus, et surtout sur les femmes, la responsabilité de leur propre survie dans un système inégalitaire.

Alors oui, la sécurité sociale de l’alimentation est possible. Elle est même urgente. L’alimentation, comme la santé ou la retraite, doit échapper à la logique du marché et entrer dans celle de la solidarité et du collectif.



Où est passé l’appétit des femmes ?

Dans un monde où certains ne mangent pas à leur faim, où un peuple est en train d’être affamé sous nos yeux et avec la complicité de nos gouvernements, dans un monde où les femmes sont une fois de plus en première ligne de cette course à la survie pour elles, pour leurs enfants, il paraît dérisoire de revenir sur le lien entre le féminin et la nourriture, de parler de TCA, de rapport au corps, de charge mentale, même de prononcer le mot « skinnytok » tant tout cela est indécent. Il n’empêche, le rapport des femmes à la nourriture est un sujet hautement féministe et peut-être aussi un sujet tabou.

Car c’est un fait, nous vivons dans un monde où la nourriture manque mais où des gamines de 12 ans sautent encore des repas pour mincir. On a beaucoup dit sur les épidémies d’anorexie et de boulimie, les médecins et les parents s’inquiètent depuis longtemps déjà : des jeunes femmes dévorent et des jeunes femmes se privent. Et cet équilibre-là, malgré la vague de body positive, ne cesse d’aller et venir et générations après générations, des jeunes filles se cachent, disparaissent, quittent la table.

On peut légitimement critiquer le capitalisme et le patriarcat, cette association de malfaiteurs dont le ressort consiste à occuper les femmes, à lier leur pieds et leurs poings de toutes les manières qui soient, pour que justement, jamais, ô grand jamais, elles ne revendiquent leur place à la table, littéralement comme symboliquement. 

Mais une question demeure, pourquoi la vie des femmes est-elle à ce point marqué par la nourriture, celle qu’on mange, celle qu’on doit préparer trois fois par jour, sept jours sur sept, celle qui vient à manquer, celle qui abîme le corps, celle qui est censé le sauver, celle qui doit maintenir un homme à nos côtés, celle qui fait de nous une femme accomplie. 

Toutes les femmes, ou presque, connaissent cette arithmétique, les repas que l’on saute, les calories que l’on compte, les bourrelets réels ou imaginaires que l’on essaie de dompter. Toutes les femmes ou presque, ont entendu ces phrases absurdes « Dix minutes dans la bouche, dix ans sur les hanches », « les hommes préfèrent les femmes avec des formes », « je ne suis pas grossophobe, mais c’est pour ta santé que je te dis ça » etc. Toutes les femmes ou presque ont entendu ces phrases absurdes de la bouche d’autres les femmes.

Dans son livre Mangeuses Lauren Malka pose cette question déchirante « Quelle femme a connu cette liberté du corps et des mœurs ? » , c’est-à-dire, quelle femme s’est simplement attablé devant son assiette, sans se poser de question, sans se tracasser, sans se priver, sans compenser, sans être scrutées ?  

Et l’autre question que pose son essai passionnant, c’est « que peut le féminisme pour que les femmes retrouvent leur appétit ? » Les générations se suivent et se ressemblent malgré les différentes vagues de féminismes, malgré les réseaux sociaux, malgré les voix qui s’élèvent, la coercition ne cesse de se transmettre. Et nous sommes toutes face à nos contradictions, un discours à la première personne, enfin !, une affirmation de soi, de sa liberté, de sa sexualité, la quête d’un destin désentravé, des portes qui s’ouvrent les unes après les autres et tout cela qui vient s’échouer sur un yaourt à 0%, sur un ventre que l’on rentre encore et encore. 

Comment rendre véritablement leur appétit aux femmes ? Comment leur rendre leur chair, leur corps ? Il est difficile de lutter contre une société qui n’a aucun intérêt à ce que nous soyons libres, les femmes encore moins que les hommes. Et les discours culpabilisants n’y changeront rien, nous sommes toutes de mauvaises féministes quand il est question de notre corps, mais au moins pouvons-nous contempler nos difficultés en face, en parler, savoir d’où elles proviennent, puiser dans les expériences de nos consœurs matière à se sentir moins faibles…  Où est passé l’appétit des femmes ?

Barbecue gate et CO2

Alors que les beaux jours reviennent, le débat autour du « barbecue » refait lui aussi surface. Pour rappel, en 2022, Sandrine Rousseau lançait la polémique autour du genre des grilleur.euse.s de viande, lançant un buzz et récoltant du harcèlement en ligne de la part des viandards mécontents. En 2025, des chiffres de plusieurs instituts statistiques et de l’Ademe démontrent que nous seulement les choix alimentaires sont genrés mais aussi que l’impact CO2 lié à l’alimentation est plus élevé chez les hommes que les femmes.

L’Insee, institut national de la statistique et des études économiques, publie régulièrement une étude statistique appelée « Budget des ménages ». Grâce à celle-ci, une multitude d’informations nous sont fournies, notamment sur les dépenses et préférences alimentaires des français.es.

Par exemple, les repas et collations pris hors du domicile représentent une part significativement supérieure du budget des hommes seuls : 7 % (dont 5 % pour les seuls restaurants et cafés), contre 4 % pour les femmes seules. De même, les femmes vivant seules consacrent 11 % de leurs dépenses alimentaires à domicile à l’achat de légumes, contre 8 % pour les hommes seuls. Elles privilégient plus qu’eux les légumes frais (60 % de leur budget en légumes, contre 50 % pour les hommes) aux conserves et plats préparés (18 % contre 28 %). Les femmes seules consacrent également une plus grande part de leurs dépenses alimentaires au lait, fromages et œufs, aux fruits, aux poissons et fruits de mer. En revanche, les boissons alcoolisées représentent 12 % des dépenses d’alimentation à domicile des hommes seuls, contre 7 % pour les femmes seules.

La part des dépenses alimentaires consacrées à la viande est de 18 % pour les femmes pour 22% chez les hommes. En outre, les hommes consomment plus de viande sous forme de plats préparés ou conserves (+ 5 points dans les dépenses en viande) et de bœuf, alors que les femmes privilégient la volaille (+ 3 points). Les produits consommés par les hommes sont plus souvent transformés ou ultra‑transformés (conserves, plats préparés, biscuits, etc.) : ils représentent 64 % de leurs dépenses d’alimentation à domicile, contre 56 % pour les femmes. En compensation, ces dernières consomment plus de produits bruts (41 % contre 33 % pour les hommes).

En résumé, l’alcool et la viande rouge sont les deux aliments qui sont largement plus consommés par les hommes que par les femmes : deux fois plus pour la viande rouge et trois et demi fois plus pour l’alcool.

Pour Nora Bouazzouni, autrice du livre « Steaksisme, en finir avec le mythe de la végé et du viandard », la viande rouge est l’aliment le plus chargé symboliquement de manière viriliste. Dans une interview de Reporterre, elle explique que « La viande […], c’est le muscle, la protéine. Quand on en mange, on pense absorber l’énergie vitale de l’animal. Comme la viande rouge symbolise la force et la virilité, ce n’est pas étonnant que les hommes pensent en avoir plus besoin que les femmes. »

Une fois cette différence alimentaire décomposée par genre, grâce à l’outil Impact Co2 de l’Ademe, il est possible de visualiser le poids carbone de chaque type d’aliment. C’est à cette occasion que l’on voit alors qu’à cause de leur choix alimentaire, les hommes polluent plus que les femmes. 

En effet, la viande de bœuf et de veau sont en tête des aliments qui ont un impact CO2 le plus élevé. En termes d’impact carbone, pour 1 kg d'aliments, les “plats préparés” (cheeseburger, kebab, burger au poulet, etc.) arrivent en 3ème position après les “viandes” et les “poissons et fruits de mer”. En effet, plus un produit est transformé, emballé et réfrigéré, plus il consomme d’énergie pour sa préparation, son emballage et sa conservation. Pour limiter l’empreinte de son assiette, il est donc préférable de privilégier les produits non suremballés et de cuisiner des aliments bruts, locaux et de saison. A titre de comparaison basée sur la quantité de kg CO2e émise, un repas avec du bœuf équivaut 5 repas avec du poulet et est l’équivalent de 14 repas végétariens !

Autre que les conflits BBQ ou pas, viande ou pas, femme ou homme, se concentrer sur le poids environnemental des aliments pourrait mettre tout le monde d’accord. Car en cette période caniculaire où le changement climatique n’a jamais été aussi visible, consommer responsable et durable est une nécessité.

La famine, arme de destruction massive

On ne peut pas parler de “crise humanitaire” quand il s’agit d’un crime. La famine est utilisée comme une arme de guerre, lentement, méthodiquement, en violation totale du droit international humanitaire. Et comme souvent, les femmes sont en première ligne. 

Depuis des mois, la population de Gaza est délibérément affamée. Le Programme alimentaire mondial et l’UNICEF alertent : plus de 500 000 personnes vivent dans une situation de famine aiguë. Les enfants, eux, meurent de faim. Des milliers sont hospitalisés pour malnutrition sévère et le lait infantile manque cruellement dans tout l’enclave palestinienne. 

Et pendant ce temps, les bombardements israéliens ciblent les zones de distribution d’aide humanitaire. Le 17 juin 2025, au moins 59 personnes ont été tuées à Khan Younis alors qu’elles attendaient de la nourriture près de camions humanitaires. Le Haut commissariat aux droits humains de l’ONU a rappelé que l’entrave à l’aide alimentaire constitue un crime de guerre. 

En d’autres termes, la famine est ici un choix politique délibéré, pas une conséquence d’une situation exogène. Le droit international est pourtant très clair. La Convention de Genève interdit strictement d’utiliser la famine comme arme de guerre. Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale classe cette pratique parmi les crimes de guerre les plus graves. Empêcher la nourriture d’entrer, cibler les personnes qui tentent de se nourrir, bloquer les convois humanitaires : tout cela est illégal. Et pourtant, cela se produit. Dans l’indifférence,  dans le silence, et dans une impunité insoutenable. 

Comme toujours en temps de guerre, ce sont les femmes et les enfants qui sont les principales victimes. À Gaza, des centaines de milliers de femmes sont en situation d’insécurité alimentaire sévère. Non seulement elles mangent en dernier, mais elles sont aussi responsables de nourrir les autres (enfants, personnes âgées, proches blessés). Elles risquent leur vie pour trouver du pain ou un peu de riz. Et elles font tout ça dans des environnements où les violences sont omniprésentes. 

La faim est politique, elle est organisée et instrumentalisée par le gouvernement israëlien. Et aujourd’hui, elle est aussi un outil de contrôle, d’humiliation et d’extermination lente.

À lire 

“Violences en cuisine : Une omerta à la française”, Nora Bouazzouni, éditions Stock 

“Le client est roi, mais nous, on n'est rien”, “En cuisine, il faut en baver pour réussir.” Depuis près de deux siècles, ce mythe justifie la normalisation de violences de tous ordres – économiques, physiques, psychologiques, homophobes, racistes, sexistes, sexuelles. Comment s'étonner, aujourd'hui, que 200 000 postes soient vacants, lorsqu’on découvre le décalage glaçant entre la vitrine, la salle et la cuisine ? Pendant quatre ans, Nora Bouazzouni a recueilli des centaines de témoignages d'employés de la restauration. Tous dénoncent un système bien rodé, qui ne tient que par l’exploitation des travailleur·euses, et où nombre de chefs règnent par la terreur et réprimandent à coups d’insultes ou de torchon.

Malgré l’ampleur sidérante des abus, aucun n’a vraiment été inquiété. C’est que la « haute » cuisine, c’est la France, et la France, c’est la « haute » cuisine. Gare à qui osera s’y attaquer. Ce livre s’y emploie. (Description des éditions Stock) 

“La politique sexuelle de la viande : Une théorie critique féministe végane”, Carol J. Adams, Le passager clandestin 

Dans ce livre culte publié en 1990 aux États-Unis, la chercheuse et militante Carol J. Adams propose une analyse percutante et originale de l'intersection entre l'oppression patriarcale et l'exploitation animale. En retraçant comment la consommation de viande est associée à la virilité, elle montre que la domination masculine repose autant sur le massacre des animaux que sur le contrôle et l'objectivation du corps des femmes. 

“Manger sans culpabiliser”, Zina Mebkhout, éditions Solar 

Un guide pratique pour se libérer de la culture des régimes et retrouver une relation saine et intuitive avec l'alimentation. Le livre pour faire la paix avec la nourriture et enfin s'autoriser à manger selon ses propres lois. La méthode inspirée de l'alimentation intuitive, pour envisager notre alimentation d'une manière inédite. Des outils pratiques pour se débarrasser des réflexes de restriction. Des témoignages et récits de coaching qui font tilt.




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