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8 min ⋅ 10/01/2025

L’animal : un statut juridique bâtard

“Les animaux sont quelqu'un, quelqu'une et non pas, comme nous ne l'avons que trop pensé, ici, en Occident, quelque chose. Quelque chose comme une machine, une décoration, un sac à main, un repas. Quelque chose dont la mort, au vrai, nous indiffère autant que la vie déjà nous indifférait. Un être devenu non-être à cette fin que nous soyons tout.” (Kaoutar Harchi, ainsi l’animal et nous page 22). Ici, l’autrice Kaoutar Harchi analyse le statut de l’animal dans nos sociétés et souligne un aspect très important : la place de l’animal a été pensée en opposition à “nous”. L’animal est perçu comme un bien et c’est d’ailleurs ainsi que le droit français l’a défini jusqu’en 2015. 

Aujourd’hui, l’animal est considéré en droit français comme un “être”. Un être vivant et sensible, une catégorie entre les personnes et les biens. Pour autant, le code civil ne prévoit pas de régime spécifique pour ces êtres auxquels l’on applique le régime juridique des biens corporels.  

L’animal est ainsi un peu “mieux” protégé qu’un bien traditionnel, mais moins qu’une personne… Par ailleurs, cette protection juridique varie en fonction du “type” d’animal : sauvage, domestique, etc. Ainsi, l'animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité est protégé par le code pénal contre les mauvais traitements et les actes de cruauté mais rien n’est prévu pour l’animal sauvage non captif ou non apprivoisé… 

Inutile d’insister, vous l’aurez compris : la protection des animaux par le droit français est loin d’être suffisante et leur statut reste assez peu protecteur… Néanmoins, il faut savoir que nous partons de loin, voire très loin. Et cette évolution, bien que lente et insatisfaisante, on la doit notamment aux militant·es anti-spécistes où les femmes sont majoritaires. En effet, comme vous le découvrirez plus en détail dans l’article d’Amandine Richaud Crambes plus bas, les liens entre sexisme et spécisme sont assez forts. 

Ainsi, nombreuses sont les femmes qui, depuis désormais des décennies, font le lien entre féminisme et anti-spécisme, comme ce fut le cas de Louise Michel : “Dans ses mémoires, Louise Michel fait elle aussi le lien entre sa défense de la cause animale et son combat contre le sexisme, dénonçant les “crimes de la force” par lesquels le peuple est assujetti, mais qui sont aussi ceux du patriarcat. “Gare pour le vieux monde le jour où les femmes diront : c’est assez comme cela !” prévient-elle. Au départ, ce sont bien les violences commises contre les animaux qui la choquent : “Des cruautés que l’on voit dans les campagnes commettre sur les animaux, de l’aspect horrible de leur condition, date avec ma pitié pour eux la compréhension des crimes de la force.” (Jérôme Segal “Animal radical, histoire et sociologie de l’anti-spécisme” repris sur le site de la revue l’Amorce). 

Dans une étude sur les liens entre les femmes et les mouvements de lutte pour la cause animale, la chercheuse Emily Gaarder relève que les témoignages qu’elle a recueillis auprès de militantes anti-spécistes font : “ressortir les liens suivants entre le statut des femmes et celui des animaux dans la société : l’expérience de la violence physique et sexuelle, le manque de voix ou de pouvoir politique, le fait d’être négligé ou ignoré, le fait d’être contrôlé et le fait d’être considéré comme un objet ou un bien” (Women and the Animal Rights Movement, Rutgers University Press, 2011, p. 48). 

Aussi, il n’est pas surprenant que les femmes, et les féministes tout particulièrement, aient grandement œuvré en faveur de l’évolution du statut politique et juridique de l’animal… Encore une fois, et même si je sais que je parle à des convaincu·es, le féminisme fait avancer la société ! 


Les femmes à chats, un stéréotype sexiste

La vidéo date de 2021, mais elle est ressortie cet été à la faveur de la campagne électorale américaine, on y voit JD Vance, le colistier de Donald Trump fustiger “a bunch of childless cat ladies who are miserable at their own lives”, littéralement “des femmes à chats sans enfants et malheureuses” avant d’ajouter que ces femmes n’avaient “aucun intérêt pour le pays” puisqu’elles n’avaient pas procréé. Visant directement Kamala Harris, cette sortie a été reprise et tournée en dérision par des millions de femmes américaines sur les réseaux sociaux. C’est d’ailleurs par une photo d’elle avec ses deux chats que Taylor Swift a affiché officiellement son soutien à Kamala Harris sur Instagram. Si les “childless cat ladies” ont retourné le stigmate et répondu à la misogynie de JD Vance de la plus belle des manières, il n’en reste pas moins que la fameuse “femme à chats” à laquelle on associe d’ailleurs souvent les termes “vieille”, “folle” ou “célibataire” est un des plus vieux stéréotypes sexistes qui touchent les femmes célibataires et sans enfants.

La “childless cat lady” que l’on pourrait traduire par “vieille fille à chats” est une femme célibataire, hétérosexuelle, si aigrie dans sa solitude que seul son chat la supporte. Puisqu’elle n’a ni compagnon, ni enfant, c’est tout naturellement que sa vie se déroule sur son canapé, seule devant Netflix. Le chat représentant l’animal domestique par excellence, celui qui, contrairement au chien, vit à l’intérieur de la maison sans jamais en sortir. Le chat est aussi un animal farouchement indépendant, inquiétant. Parfois associé au vice et au mal, soit à une sexualité débridée, soit au contraire à une espèce de virginité étiolée. Ce stéréotype puise naturellement sa source dans la chasse aux sorcières du XVème siècle, avec l’image de la sorcière folle toujours accompagnée de son félin.

Largement repris dans la pop culture et dans les films, le cliché de la vieille fille à chat est l’un des plus sots et des plus injustes qui visent les femmes et témoignent, même encore maintenant, de la pauvreté des destins qui leurs sont proposés. Puisqu’il est inenvisageable qu’une femme n’ait pas pour seul désir que de se marier et de faire des enfants, toute contrevenante est forcément suspecte, et donc folle, ou aigrie, ou frustrée etc.

Dans le film Adorable voisine de Richard Quine, Kim Novak joue une sorcière new yorkaise qui vit avec son chat, l’inénarrable Pyewacket. Comme toutes les sorcières, elle est incapable de tomber amoureuse alors que c’est son rêve le plus cher. A ce sujet, son frère a cette phrase édifiante “Elle est amoureuse ? Horreur ! Mieux aurait valu qu’elle soit morte.”  Elle finit par tomber amoureuse de son voisin, un éditeur incarné par James Stewart. Ouf ! Tout est bien qui finit bien. Si le film est absolument charmant, il n’en illustre pas moins cette idée que l’incapacité à tomber amoureuse, ou le désir de se soustraire au couple restent une anomalie. 

Dans sa thèse, Le choix d’une vie sans enfant publiée en 2014 aux Presses Universitaires de Rennes, la sociologue Charlotte Debest montre bien le lien entre le chat et le discrédit des femmes en politique. L’attaque de JD Vance venant alors s’inscrire dans une longue tradition. En effet, dès les années 1900, les anti-suffragistes utilisaient le chat pour désamorcer le combat des suffragettes et leurs revendications. A la manière d’une Kamala Harris ou d’une Taylor Swift, Nell Richardson et Alice Burke ont récupéré le cliché à leur avantage et l’une des plus célèbres affiches des suffragettes montre un gros chat noir avec écrit en dessous “I want my vote”.

Dans une société où le couple, qu’il soit hétérosexuel ou non, et la famille continue d’occuper une place fondamentale, il n’est pas sûre que Taylor Swift et quelques tote bags “childless cat lady” suffisent à aider les femmes à croire en leur propre sagesse et en leur propre autonomie. Les propos de JD Vance ont été prononcés dans une période où les droits des femmes, aux Etats-Unis, et ailleurs, régressent dans des proportions inquiétantes. Qu’il existe dans notre société des femmes qui, par choix ou par hasard, dans la joie ou dans les ténèbres, mènent des vies autonomes où les liens s’incarnent de manière plus souples devrait nous apparaître comme une vraie proposition politique et non la source de bonnes blagues ou de réappropriation à peu de frais. 

La femme est l’avenir des animaux

Obsédé par l’ordre patriarcal et l’anthropocentrisme [1], Napoléon écrivit dans ses mémoires : “La femme est donnée à l’homme pour qu’elle lui fasse des enfants ; elle est sa propriété comme l’arbre à fruits est celle du jardinier”. Cette citation sera, pour les siècles suivants et encore aujourd’hui, le socle de la domination sur les femmes, les peuples, la nature et les animaux. 

Promulgué en 1804, le Code Civil Napoléonien institut l'incapacité juridique de la femme mariée, consacre l'infériorité de la femme face à l'homme : au nom de la famille et de sa stabilité, les femmes sont soumises à l'autorité du mari. Le “bon père de famille” devient un concept juridique. De même, les animaux sont considérés comme des “biens meubles” et les droits qui y sont attachés sont essentiellement ceux de leurs propriétaires. L’animal est assimilé à un objet, une chose. Il faudra attendre 2014 pour que l’Assemblée nationale adopte un amendement sur la suppression de la notion de “bon père de famille” dans le cadre de la loi pour l’égalité réelle, et 2015 pour que les animaux soient reconnus comme des êtres vivants doués de sensibilité. Plus de 200 ans se sont écoulés avant que soit supprimée cette aberration philosophique et juridique. 200 ans…

L’objectivation des femmes et des animaux est bien antérieure à la misogynie de Napoléon. Selon l’auteure féministe Elizabeth Fisher, les animaux domestiques seraient une des premières formes de propriété privée. Leur objectification et transformation en machines reproductrices – de surcroît pour les animaux femelles – est à la base du système patriarcal capitaliste [2]. Grâce à la domestication du bétail, les hommes comprennent enfin le fonctionnement de la maternité, considérée jusque-là comme un processus magique, qui donnait à la femme une vénération commune. Cette découverte déposséda la femme d'une part de son autonomie et cantonnée à un rôle de génitrice.

Outre une exploitation quasi similaire des animaux et des femmes, leurs liens sont aussi des bases de lutte. Ce n’est pas anodin si environ 70% des activistes pour les animaux seraient des femmes. D’après les recherches de Christiane Bailey [3], la démographie particulière du mouvement de défense des animaux en ferait même un des principaux mouvements féminins après le mouvement féministe lui-même. Les femmes ont tendance à se préoccuper davantage des façons dont nos sociétés traitent les animaux. D’ailleurs, les derniers chiffres de l’INSEE montrent que les femmes et minorités de genre consomment moins de viande que les hommes. La domination masculine repose tant sur la consommation de la viande que sur le contrôle du corps des femmes. Les hommes voient en ce bout de viande des notions patriarcales de pouvoir et de performance [4]. L’anthropologue Peggy Reeves Sanday a par ailleurs effectué des recherches poussées sur des centaines de cultures contemporaines et non-technologiques. Elle en a conclu que dans les sociétés moins carnistes, les hommes ont une place beaucoup plus égalitaire avec les femmes. Les hommes y sont, par exemple, plus impliqués dans l’éducation des enfants ou la préservation de l’environnement.

Encore aujourd’hui, les pratiques et institutions centrées sur la violence et la mise à mort des animaux sont dominées par les hommes (élevage, chasse, pêche, trappe, abattage, boucherie, expérimentation, rodéos, corrida, etc.). Tout comme enfermer, mutiler et tuer des individus vulnérables sans leur consentement sous couvert du droit, de la religion ou de la tradition (esclavage, excision, viol, anti-IVG, etc.). Le spécisme occupe une place essentielle dans les mécanismes discriminatoires et contribue fortement aux divisions sociales qui structurent et hiérarchisent la société dans son ensemble. Il hiérarchise les êtres vivants et les humains : l’adulte mâle est supérieur à la femelle et aux enfants, le mâle dominant est supérieur aux mâles esclaves qui le servent, n’importe quel humain adulte mâle se croit supérieur aux autres espèces, à la nature même. D’ailleurs, dans un article d’Usbek & Rica [5], Myriam Bahaffou explique très clairement ce processus identique dans la colonisation : “la question « de l’animal » est alors centrale, puisque toutes les personnes « racisées » se sont toujours vues associées aux bêtes, c’est ce qui a justifié leur exploitation, leur esclavage, leur extermination. Aujourd’hui, les femmes racisées, notamment Africaines en France, sont encore souvent représentées comme « sauvages » et « indomptables » – un imaginaire raciste qui renvoie directement aux animaux.” 

Le destin et la solidarité entre les femmes, les peuples autochtones, les groupes racisés et les animaux sont le résultat de l’histoire commune du patriarcat, de la suprématie blanche, du colonialisme et de la suprématie humaine. L’écoféminisme doit donc être à l’intersection des luttes antispéciste, décoloniale, antiraciste, anti-raciste, anti-capitaliste, il doit soutenir l’abolition de toutes les dominations et œuvrer au bien-être animal, car ses luttes se nourrissent mutuellement.

Pour conclure, une citation de l’écoféministe Norma Benney qui annonce un possible futur de l’histoire commune des femmes et des animaux : “Il n’est ni correct ni juste de revendiquer la liberté pour nous-mêmes, sans revendiquer en même temps la liberté des créatures qui partagent la planète avec nous, qui sont cruellement opprimées de la naissance à la mort par des attitudes et des systèmes patriarcaux et qui n’ont pas le pouvoir des femmes pour s’organiser”. 


[1] L’anthropocentrisme est une philosophie, une religion, une représentation du monde qui place l’humain adulte mâle, l’Anthropos, au centre de l’univers, supérieur à toute entité vivante.
[2] « Capitaliste » vient du latin « caput », signifiant « la tête », à l’origine la tête de bétail.
[3] Doctorante en philosophie à l’Université de Montréal et membre du Groupe interuniversitaire de recherche en éthique environnementale et animale. Elle a notamment publié « Le capitalisme, les animaux et la nature chez Marx ».
[4]
Myriam Bahaffou, chercheuse en philosophie féministe.
[5]
https://usbeketrica.com/fr/article/pour-animaliser-femmes-deshumaniser-animaux-ecofeminisme

À voir  

Animale, film d’Emma Benestan, Arte.tv

Film avec une esthétique forte, “Animale” sent bon la Camargue. L’intrigue se déroule dans le milieu très masculin des “manades”, cette tradition camarguaise d’élevage des troupeaux de chevaux, taureaux et vachettes. L’histoire est centrée sur Nejma, une jeune femme qui souhaite faire sa place auprès des manadiers, dans une lutte des représentations femme-homme, du fantastique et de l’animal.

Série “La Mesias”, Arte.tv

Un frère et une sœur se confrontent à leur enfance traumatique sous l’emprise d’une mère abusive devenue catholique fanatique. Entre splendeur et kitsch, humour et terreur, onirisme et suspense, un tourbillon émotionnel mené avec maestria par Javier Ambrossi et Javier Calvo, alias "los Javis", héritiers revendiqués de Pedro Almodóvar et duo star en Espagne. (source Arte)

À écouter 

Culture Monde, podcast “Accès aux toilettes : un enjeu mondial”, France Culture

Besoin essentiel, aller aux WC dans un espace sûr et propre n'est pourtant pas donné à tout le monde. L'accès aux toilettes est révélateur d'inégalités et de l’appropriation de l’espace par les hommes. Ce sujet pose plusieurs défis urbains et environnementaux qu’il ne faut pas négliger de connaître. À écouter ici.

À lire

Ainsi l’animal et nous - Kaoutar Harchi, Actes sud 

Partant des mauvais traitements que l’humain fait subir à l’animal et traversant l’histoire des féminismes, de la lutte des classes, de la colonisation, des migrations ou du capitalisme, ce texte observe et interroge le processus d’animalisation qui hante les grandes guerres et les drames quotidiens. 

Avec cet essai aussi personnel qu’analytique, et profondément politique, Kaoutar Harchi signe l’un des premiers ouvrages à aborder de manière exhaustive et critique la relation entre les violences faites aux animaux et la violence historique que des humains ont déployée contre d’autres humains. 

Assise, debout, couchée - Ovidie, JC Lattès 

Il est l’enfant qui a quitté le foyer, le mari décédé, le bébé qu’on ne peut plus avoir. Il est le compagnon de vie, celui qui reste quand on n’a plus rien. Mais le chien est aussi le défenseur du foyer, le protecteur de la rue, le dernier rempart contre les violences masculines.

Prenant pour point de départ sa propre relation aux chiens, Ovidie questionne leur place dans la société à travers un prisme qui ouvre le regard.

À faire 

Exposition de Suzanne Valadon au Centre Pompidou de Paris  

Après Metz et Nantes, le centre Pompidou accueille pour une de ses dernières expositions avant fermeture, Suzanne Valadon. Elle est la première femme peintre à représenter des hommes adultes dans le plus simple appareil, sans faire référence à la mythologie ou aux religions. Le nu, féminin et masculin, occupe une place essentielle dans l'œuvre de cette femme affranchie. Son tableau le plus célèbre, La chambre bleue, change le statut de la femme peintre. Féministe avant l’heure, Suzanne Valadon est morte en 1937. Du 15 janv. - 26 mai 2025, Paris 




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