Lyon, la ville où la résistance brille encore ✨
Connue pour être le bastion des fafs, la troisième plus grande ville de France est moins connue pour ses résistances et pourtant, elles existent. Certain·es d’entre vous le savent peut-être déjà mais j’entretiens un lien étroit avec Lyon. Déjà, j’y suis née et même si je n’y ai jamais vécu j’ai le plaisir de la découvrir depuis un peu plus de 7 ans car ma maman, elle-même lyonnaise, y a déposé ses valises en 2017.
Malheureusement, la capitale rhodanienne s’illustre régulièrement par les violences et agressions perpétrées par l’extrême-droite où des groupuscules sont à l'œuvre depuis des décennies. Tout le monde se souvient de “l’expédition” violente de l’extrême-droite le 14 juin dernier, juste après un rassemblement contre le RN. Comme le rappelle Mediapart, ce type d’actions violentes ne sont ni récentes, ni isolées. Historiquement, la présence de l’extrême-droite à Lyon s'illustre sous diverses formes, tant et si bien qu’Alain Chevarin, auteur de “Lyon et ses extrêmes droites”, affirme que la ville : “présente la caractéristique unique en France d’avoir accueilli toutes les tendances de l’extrême droite”.
Face à cette emprise historique de l’extrême-droite, il serait facile de ne voir Lyon qu’à travers le prisme de la violence et de la peur. Mais ce serait oublier tout le reste. Oublier celles et ceux qui, malgré les intimidations, continuent de faire vivre une ville engagée, solidaire et créative. Oublier que Lyon, ce n’est pas seulement un bastion réactionnaire, c’est aussi un terrain de lutte, de culture et d’expérimentations politiques.
Mais pour être tout à fait honnête avec vous, lorsque je marche dans les rues de certains quartiers lyonnais, je ne me sens pas toujours en sécurité. Et pour cause, l’extrême-droite m’a identifiée depuis de nombreuses années et je reçois régulièrement des menaces (notamment de mort) depuis 2021. Et malgré cette peur, j’aime aller à Lyon. J’aime y retrouver les ami·es que j’ai y rencontré·es à l’occasion d’événements militants. J’aime traîner dans les librairies engagées, j’aime y retrouver les membres du Popol Lovers Gang, j’aime aussi assister aux spectacles qu’organise la queerale des amis de ma mère. C’est cette Lyon là que je voulais vous faire découvrir. Celle qui résiste et s’organise, celle qui porte des projets politiques ambitieux, celle où fleurissent les tiers lieux, celle où à émergé la première “grève des femmes”.
Alors oui, Lyon est une ville paradoxale, marquée à la fois par la violence de l’extrême-droite et par l’énergie de celles et ceux qui lui résistent. Mais c’est précisément cette dualité qui en fait un terrain de lutte essentiel. Derrière chaque menace, chaque intimidation, il y a une réponse collective, une détermination à ne pas céder du terrain. Lyon n’est pas qu’un champ de bataille, c’est aussi un espace d’espoir, où se dessinent les contours d’un avenir plus juste et plus solidaire. Et c’est cette ville-là que je voulais mettre en lumière, celle qui construit plutôt que celle qui détruit.
A Lyon durant l’été 1869, 250 ouvrières « ovalistes » se mettent en grève pour demander une revalorisation de leur salaire. La plupart de ces ouvrières du textile (le terme « ovaliste » vient de l’ovale, une pièce centrale du moulin qui servait à façonner la soie) venaient des régions rurales proches de Lyon : Ardèche, Cévennes, Drôme, Savoie, Dauphiné…).
Recrutées sur place, elles arrivaient en nombre à Lyon, souvent logées dans des chambres insalubres au-dessus des ateliers et assignées à des tâches extrêmement pénibles du tissage de la soie. Au moment de la grève, elles étaient payées 1, 40 pour des journées de 12h et demandaient à être payées 2 francs pour des journées de 11h. La grève durera 1 mois, ce qui est extrêmement long et est considérée comme l’une des premières grandes grèves de l’ère industrielle, où l’arrêt du travail était devenu un moyen d’attirer l’attention sur les conditions de vie des travailleurs.
Les ovalistes reprendront le travail sans vraiment obtenir gain de cause (les patrons consentiront à une journée de 10h mais dans les faits les 12h continueront à s’appliquer), mais outre la durée exceptionnelle de la grève, les femmes ont pu compter sur le soutien des hommes et notamment de la section lyonnaise de l’Association Internationale des travailleurs, qui va leur permettre de constituer un comité de grève et de collecter des fonds parfois même jusqu’en Belgique et en Angleterre.
Cette aide sera fondamentale, même si elle n’est pas dénuée d’ambivalence : pour toucher les fonds les ouvrières doivent rejoindre les syndicats, ce qui sera très mollement accepté par les hommes. Les ouvrières utilisent tous les ressorts de la grève : investissements de la rue et des cafés, articles dans les journaux, conférences etc.
Longtemps éclipsée par les révoltes des Canuts de 1831, 1838 et 1841, la grève des ovalistes restent un événement fondamental qui montre la capacité des femmes à s’organiser, d’autant plus remarquable que leurs conditions de travail sont beaucoup plus terribles que celles des hommes.
En 2024, les député·es écologistes ont déposé une proposition de loi prévoyant l’interdiction progressive des produits contenant des substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées appelées aussi PFAS. Ces composés chimiques polluants se retrouvent absolument partout et persistent sur de très longues durées dans l’environnement d’où leur autre dénomination les « polluants éternels ». Cette initiative législative a pour but de protéger la population des risques liés à ces molécules qui sont présentes dans de nombreux produits de consommation courante : ustensiles de cuisine anti-adhésion, embouts buccaux de cigarette électronique, semelles de fers à repasser ; lubrifiants et cires pour sols et voitures, dans la fabrication de cosmétiques ou encore agents anti buée, anti statiques ou réfléchissants pour vernis et peintures ; dans les vêtements, chaussures, etc. Selon l'Anses[1], ils peuvent notamment être responsables d'une hausse du taux de cholestérol, de la survenue de cancers et sont suspectés d'interférer sur le système endocrinien et immunitaire.
Un an plus tard, cette proposition de loi est de retour à l’Assemblée nationale après un passage au Sénat et est en attente du vote. Coïncidence, cet exercice parlementaire intervient quelques semaines après la révélation des scandales de l’eau en bouteille polluée, dissimulés par des grandes marques agro-alimentaires comme Nestlé avec la connivence des différents gouvernements.
La lutte contre les polluants éternels a commencé il y a de nombreuses années et la région lyonnaise a été le lieu de naissance de celle-ci. En effet, la capitale des Rhône-Alpes a déjà connu des pollutions graves. La coupable : la Vallée de la Chimie qui s’étend le long du Rhône au sud de Lyon, est connue et reconnue comme le berceau historique de l'industrie chimique française depuis les années 1850. Sur une dizaine de kilomètres, le long de l'autoroute A7, se succèdent de grands sites chimiques et pétrochimiques : Solvay, Elkem Silicones, Novacyl, raffinerie Total, Air liquide, etc. faisant que la vallée concentre plusieurs risques industriels majeurs (explosion, incendie, nuage gazeux toxique...).
Depuis de nombreuses années, il est interdit de consommer plusieurs espèces de poissons du Rhône et de la Saône. Dans les années 2000, dans les sédiments du Rhône et dans la chair des poissons autour de Lyon, la présence du PCB (Polychlorobiphényles, plus connus sous le nom de pyralène) a été détectée, ce qui laisse supposer que la pollution est ancienne. Les scientifiques se sont rendu compte que tout le fleuve était contaminé, de Lyon jusqu'à la Camargue. Les français·es découvrent alors que les premières alertes remontent à 1986 mais toutes les plaintes contre X déposées par des associations et des pêcheurs sont restées sans suite. La vente des PCB est pourtant interdite à la vente à partir de 1987. L'entreprise Tradi Séché serait à l’origine de cette pollution aux PCB qui entraînent des problèmes de fertilité, de naissances prématurées, de croissance et une dégradation du système immunitaire. Selon le Centre de lutte contre le cancer Léon Bernard, les polychlorobiphényles (PCB) sont une famille de molécules chimiques de synthèse massivement utilisées entre 1930 et 1970 comme lubrifiants et dans la fabrication de transformateurs électriques et de condensateurs. Ce sera seulement en 2009 qu’une première interdiction de consommer les poissons de la vallée du Rhône voit le jour. Légèrement modifiée depuis par les services de préfecture, elle est aujourd’hui toujours en vigueur. En effet, l’alimentation constitue la principale source d’exposition humaine à ces substances. Même si des gros travaux de dépollution ont été entrepris, les PCB seront encore présents dans l’environnement pendant des décennies.
Récemment, c’est une nouvelle pollution qui alarme les autorités scientifiques et la population lyonnaise, la France, l’Europe. A nouveau, la préfecture du Rhône déconseille de consommer des produits alimentaires comme les œufs issus d'une partie des communes de la vallée de la chimie, en raison de leur forte teneur en polluants éternels. Un œuf contient jusqu'à 13,44 µg/kg en poids frais, pour une valeur maximale fixée à 1,70 µg/kg dans l'Union européenne. Ces PFAS sont quasi indestructibles une fois rejetés dans l'environnement. Une fois de plus, la vallée de la chimie est pointée du doigt ; elle est considérée comme l'une des zones de France les plus polluées aux PFAS. Alors le règlement Reach, entré en vigueur en 2007 a pour objectif de sécuriser la fabrication et l’utilisation des substances chimiques dans l’industrie européenne, en France, un plan d’actions ministériel sur les PFAS n’a été élaboré qu’en 2023. Pourtant, plusieurs études ont montré la présence de PFAS dans le sang de pratiquement toute la population. En France, le programme national de biosurveillance Esteban a ainsi révélé la présence de certains PFAS dans 100 % du sang des adultes et des enfants testés. Nouvelle étape alarmante, en février 2025, pour la première fois en France, des études ont permis de mesurer la concentration dans l'air ambiant de certains PFAS, à l'aide de préleveurs d'air à haut débit, installés par Atmo[2] de la région AURA dans la périphérie lyonnaise. La persistance de PFAS dans l'air s’étend jusqu’à une dizaine de kilomètres de la source. L'air est à la fois un facteur de transport important mais aussi de dilution. C'est à Oullins-Pierre-Bénite que sont installées les usines chimiques Daikin et Arkema, deux sociétés produisent des polymères fluorés et manipulent à ce titre des PFAS, et où les mesures les plus préoccupantes ont été relevées.
Comme toujours, ce sont les humains les plus vulnérables aux pollutions, c’est-à-dire les femmes et les enfants, qui en sont les premières victimes. Tout d’abord, les femmes enceintes les plus exposées aux PFAS risquent un placenta au poids réduit et moins vascularisé. Une contamination par les PFAS a été constatée dans le lait de vache et les substituts du lait pour bébé. Le passage des PFAS dans le lait maternel est également connu et documenté. Les nourrissons peuvent donc être exposés durant la grossesse et l’allaitement. Cependant, les taux d’imprégnation aux PFAS des nourrissons allaités au sein rejoignent, en grandissant, ceux des autres enfants et l’allaitement reste bénéfique[3]. Après, toute leur vie, les femmes et les enfants seront exposés aussi aux polluants éternels, de l’eau qu’iels boivent à leur alimentation.
La proposition de loi d’origine sur l’interdiction des PFAS a été fortement amendée vers du moins contraignant, comme beaucoup de réglementations environnementales pourtant nécessaires pour la protection des populations, ceci au profit du libéralisme des industries polluantes. Néanmoins, si la loi est adoptée, elle restera une grande avancée dans la protection des français·es.
NB : la loi a été adoptée entre la rédaction et la publication de cet article.
[1] Anses est l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
[2] ATMO est un acronyme qui désigne les Associations Agréées de Surveillance de la Qualité de l'Air (AASQA) en France. Ces organismes jouent un rôle de premier plan dans la surveillance et l'évaluation de la qualité de l'air sur l'ensemble du territoire français.
[3] Source : Institut fédéral allemand d’évaluation des risques
🎧 À écouter
Lyon et la révolte des Canuts : tu viens plus aux soieries ? – Le Cours de l’Histoire (France Culture)
Une plongée passionnante dans l’histoire de la révolte des Canuts, ces ouvriers de la soie qui se sont soulevés en 1831 contre des conditions de travail inhumaines. Un épisode essentiel pour comprendre les racines des luttes sociales à Lyon et leur résonance aujourd’hui.
📖 À lire
La grève des ovalistes (Lyon, juin-juillet 1869), Claire Auzias et Annik Houel, Atelier de Création Libertaire
Cet ouvrage revient en détails sur la grève des ovalistes, réputée première grande grève de femmes ouvrières en France, est exemplaire des enjeux qui traversent l'histoire des femmes et l'histoire de la classe ouvrière, deux histoires rarement menées sur la même ligne de front, et dont la confiscation de la parole des femmes est le symbole.
À faire
Soirée Castors “Quelles alternatives aux réseaux sociaux”
Rendez-vous le 26 février au café Rosa à Lyon de 19h à 21h pour une discussion autour du thème « quelles alternatives aux réseaux sociaux » et avec des invité·es de prestige : l’illustratrice et militante féministe Troty, Rue89 Lyon et Framasoft. Infos et billetterie ici.